Le Monde 30 juillet 1998
Nul ne connaît, pour l’instant, les conditions exactes dans lesquelles ont eu lieu les faits reprochés à Christine Malèvre, l’infirmière de l’hôpital François-Quesnay de Mantes-la-Jolie (Yvelines), mise en examen pour avoir « mis volontairement fin aux souffrances de ses patients. » Un substitut de Versailles a toutefois reconnu qu’elle n’avait agi « ni pour l’argent, ni par intérêt, ni à la demande d’une quelconque association ».Il s’agit donc de cas de conscience d’une personne affrontée quotidiennement à la souffrance des malades, aux demandes précises ou incertaines des uns et des autres. Une situation que vivent chaque jour les médecins et les infirmières, surtout en milieu hospitalier, puisque aujourd’hui 70% de la population meurt en institution.
Par ce que la règle de la vie « coûte que coûte » a été une fois pour toute énoncée, l’approche de la mort ne bénéficie d’aucune formation, d’aucune discussion spécialisée, d’aucune structure d’aide à la réflexion, hormis dans les services dits d’accompagnement aux mourants… mais, pour intéressantes que soient ces structures, elles risquent de créer des ghettos et de faire oublier aux soignants que c’est leur devoir d’être présent jusqu’à la fin.
L’infirmière, dans cette lourde tâche, prend souvent plus que sa part. Une charge lourde à vingt-huit ans !
D’autant que, parfois, quelle que soit la qualité de l’accompagnement, il y a la demande, le désir d’en finir avec une souffrance que nos moyens, même les plus puissants, n’arrivent pas toujours à contrôler. Ce jour-là, on peut fermer les yeux, ignorer, se retrancher derrière la règle, refuser la liberté de l’autre. On peut aussi, dans la complicité de la relation, être amené à mettre fin à la barbarie.
Aussi, avant de juger, faut-il avoir le courage de vivre ces situations douloureuses. Et la société devrait se faire modeste, elle qui, par son silence, laisse mourir chaque jour des centaines de personnes âgées dans des conditions souvent indignes d’un pays civilisé. Une situation qui ne lui pose aucun cas de conscience.
Alors, d’accord, parlons de la mort, pour une fois, mais écoutons tous les points de vue, ceux qui défendent la liberté de mourir telle que l’a choisie tout récemment Roger Quilliot, l’euthanasie active, mais parlons aussi de l’euthanasie passive et hypocrite.