Pitié pour les hommes
L’euthanasie : le droit ultime
Denis Labayle
Editions Stock, Collection : Parti pris, 2009, 12 euros
Voir la présentation complète de l’ouvrage
Extrait 1
Page 21, 22, 23
L’hypocrisie des mots.
Certains trichent aux cartes avec un jeu pipé, d’autres trichent dans les débats avec des mots truqués. Plus l’enjeu est important, plus les tricheurs mentent avec arrogance. Aussi pour débattre de l’essentiel, de la vie et de la mort, certains n’hésitent pas à employer les moyens les plus malhonnêtes.
La pauvreté du vocabulaire concernant la fin de vie et l’emploi calculé d’une fausse terminologie ne sont pas le fait du hasard. La simplification des termes, l’amalgame des expressions, l’utilisation de qualificatifs réducteurs, tout cela permet de caricaturer la pensée adverse, de la simplifier. Imposer sa propre définition des mots est une tactique astucieuse pour truquer le débat. On se retrouve ainsi parfois en face de tricheurs qui, comme au poker, se distribuent les as, les rois et les reines et vous donnent les sept et les huit. Il est difficile de se battre contre la perversité des termes, il faut du temps pour redonner au mot sa signification d’origine, ce qui n’est pas toujours possible dans un échange médiatique.
Tout cela finit par engendrer l’injure, parfois la menace. Si j’ai reçu un très grand nombre de lettres de soutien, il m’est aussi parvenu des menaces de mort, m’annonçant qu’on allait « m’euthanasier en premier ».
Je n’aime pas ce mot euthanasie, même si étymologiquement il est parfait : eu signifie en grec « bien » et thanatos, la mort. Autrement dit, la « bonne mort », la mort sans souffrir. La lecture du Larousse ou du Petit Robert confirme cette définition positive : mort sans souffrance, aider à mourir. Aider l’autre à partir dans la douceur exclut donc tout acte de violence, toute souffrance imposée, toute solution que le malade n’aurait pas choisie.
Mais je n’aime pas ce mot parce que son étymologie grecque ne facilite pas son utilisation saine : elle ouvre la porte aux mensonges et aux interprétations fallacieuses. Ses détracteurs ne s’en privent pas. Ils ont profité de l’intonation d’une syllabe pour faire un amalgame grossier avec la consonance du mot nazi, faisant fi des différences d’orthographe. Ils ont ainsi réussi à en inverser le sens pour imposer une fausse définition dans l’esprit populaire.
A ma connaissance, les nazis n’ont jamais été des adeptes de la compassion, du respect de la volonté de l’autre, de la mort sans souffrance. Ils prônaient l’élimination violente des faibles et des malades selon une planification où l’individu n’avait pas la parole. Cette imposture intellectuelle a déjà été employée, il y a quelques années, lors du débat sur l’avortement : les opposants traitaient de nazis ceux qui aidaient les femmes désirant mettre un terme à leur grossesse non désirée. Au Parlement, l’insulte tomba mal car la ministre de la Santé qui présentait le projet de loi, était juive et ancienne déportée.
À l’époque, ces manipulateurs du langage avaient même inventé un vocable pour disqualifier le mot avortement : « avortoir », évoquant l’abattoir. Il a fallu passer par une périphrase, « interruption volontaire de grossesse » et trois lettres, IVG, pour permettre à la loi d’être votée. C’est dire à quel point le mot « avortement », à l’époque, avait été diabolisé. Aujourd’hui, il est passé dans le langage courant et ne suscite plus de réactions épidermiques pour la majorité des gens. Pour éviter le mot « euthanasie », faudra-t-il passer aussi par une périphrase, substituer à ce terme galvaudé une expression plus simple, plus explicite : aide active au départ (AAD), Aide au Départ sans souffrance, Aide à la Délivrance désirée ? J’aime assez le mot Départ, car il est doux et fait rêver. Celui de Délivrance porte en lui une racine de liberté. Aussi j’emploierai la première périphrase pour l’euthanasie, et la seconde pour l’autodélivrance.
Ou peut-être faudrait-il persister, continuer à n’employer que le mot euthanasie, et espérer qu’avec le temps il retrouve sa douceur originelle dans le langage courant et l’inconscient populaire ?
Extrait 2
Page 172, 173, 174
L’hypocrisie du « laisser mourir ».
A propos du « laisser mourir », forme d’acharnement palliatif prônant en dernier recours suppression de l’alimentation et déshydratation. Quelle est donc la philosophie de cette société qui propose comme solution la transformation du citoyen en squelette déshydraté, perdant toute dignité, laissant à son entourage le souvenir terrible d’un corps martyrisé ? Comment peut-on approuver les médecins défenseurs d’une telle barbarie, et traiter d’assassins les partisans du Penthotal ? Et qu’on cesse d’affirmer hypocritement que ce temps est nécessaire pour préparer la famille au travail de deuil. La ficelle est un peu grosse. S’il faut voir souffrir l’être aimé pour réaliser son travail de deuil, alors, en effet, il faut faire vivre le mourant le plus longtemps possible, et réhabiliter l’acharnement thérapeutique…
Cet argument ne tient pas : cette période où l’on attend la libération de l’autre laisse toujours des souvenirs cruels, culpabilisants. Pourquoi la prolonger ?
Les propos du docteur Desfosse contrastent avec les tristes fanfaronnades de certains doctrinaires des soins palliatifs, se vantant de ne rencontrer aucun problème dans leur pratique. Quand viendra la fin de leur vie, j’espère pour eux qu’ils trouveront un médecin compréhensif qui refusera de les laisser se dénutrir et se déshydrater. Et je pose la question : quel citoyen est volontaire pour cette méthode, conséquence indirecte de la loi actuelle ?
En tout cas, si elle convient au professeur Fagniez, qu’il ait le courage de préciser dans son testament de vie sa volonté de mourir, si nécessaire, dénutri et déshydraté. Que tous les membres de la commission parlementaire qui l’ont cautionné fassent de même, ainsi que les députés qui l’ont voté ! Leur volonté sera respectée à la lettre. Mais, qu’en aucun cas, ils ne l’imposent aux autres. Pour moi, c’est clair : jamais ça. !
Jamais, cette fausse « euthanasie », cette mort soi-disant naturelle. Personnellement, je souhaite un moyen rapide, digne et sans douleur. Du Penthotal me conviendrait parfaitement, que ce soit à prendre par la bouche ou par voie intraveineuse, ça ne me dérange pas. Je ne suis pas difficile ! Aux autres citoyens de préciser par écrit leur choix avant qu’il ne soit trop tard.
Et puisque alimenter de force une personne qui veut partir est reconnu comme un acharnement thérapeutique, j’espère que supprimer toute alimentation et laisser le corps mourir par déshydratation sera bientôt considéré comme un harcèlement thérapeutique palliatif.
La société, après avoir mis des dizaines d’années à condamner le premier, va-t-elle mettre autant de temps à condamner le second ? Ces deux attitudes extrêmes relèvent du même principe : un faux respect de la vie. Voilà bien la preuve que, les positions dogmatiques qui se voudraient les plus fidèles aux exigences divines, se révèlent les plus inhumaines ! Quand je vois cette attitude prônée par des religieux et des croyants au non du sacro-saint respect de la vie, j’ai envie de crier : « Dieu, réveille-toi ! Ils sont devenus fous. »